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Philæ
 Philæ
s’appelait anciennement Pilak, ce qui signifie « île
de l’extrémité ». Simplement parce qu’elle
était située sur la rive orientale du Nil, à l’extrémité
sud de la première cataracte.
D’après les anciens prêtres,
le Nil naissait tout près, entre les rochers de la cataracte, dans
la caverne du dieu Hâpy, tout bruyant et bouillonnant. L’empereur
Hadrien fit élever un petit sanctuaire à cet endroit, dont
il ne reste que la porte et une partie des murs.
D’après la légende, la jambe gauche d’Osiris,
l’époux d’Isis, était conservée dans
la petite île de Biga, dans une clairière entourée
d’un bois, nommée Abaton. Biga était nommée
Iou-Ouab, l’île pure, et aucun bruit ni aucune musique ne
devait troubler la sérénité du lieu. Tous les dix
jours, Isis quittait Philæ pour rendre visite à son époux.
Osiris ressuscitait avec la crue, et était donc considéré
comme le symbole de la nature dans son renouveau. Les prêtres célébraient
les rites sur les 360 tables sacrées (une par jour de l’année
égyptienne, si l’on excepte les cinq jours épagomènes).
La barque commence par longer la côte ouest de
l’île, et toute la splendeur de l’endroit se révèle
peu à peu. Tout ce que la terre a porté d’hommes illustres
est passé ici, ou presque.
Alexandre, César, Antoine, Les croisés, Napoléon,
et j’en passe, sont venus rendre hommage à Isis. Les soldats
de l’An II en ont profité pour couvrir les murs de graffitis,
ce qui tend à prouver que les mauvaises habitudes ne se perdent
jamais.
A quelques mètres du débarcadère,
un ibis indifférent nous observe d’un œil distrait au
beau milieu d’une touffe de papyrus. Quelques marches, et le rêve
de pierre apparaît. Une grande esplanade (le dromos) flanquée
de colonnades, et nous arrivons aux pylônes qui délimitent
l’entrée du sanctuaire. Sur la droite, une stèle de
granit gravée révèle la tragédie d’Isis
et d’Osiris, aussi poignante que les autres histoires d’amour
qui finissent mal. Roméo et Juliette, Héloïse et Abélard…
Tout autour du lieu, divers îlots de verdure
accueillent le visiteur écrasé de soleil. Acacias, jacarandas,
sycomores, offrent un peu de fraîcheur et quelques bancs recueillent
les serments éternels qu’on ne manquera pas de prononcer
en si bel endroit.
D’autres bancs, sur le dromos, attendent les visiteurs du soir.
Un spectacle magique et envoûtant, où la voix chaude et sensuelle
de Suzanne Flon personnifie Isis. Les colonnes prennent vie, les pierres
parlent, le Nil à la voix mâle raconte l’histoire du
sanctuaire, on est transporté au fil des siècles et laissé
hébété à la fin. Envoûtant, vous dis-je.
Il faut quelques heures de sommeil derrière pour s’en remettre.
Mais
pour le moment, après la visite, nous flânons au milieu des
envolées de colonnes papyriformes, nous nous laissons aller au
rêve dans le petit kiosque de Trajan, où reposait jadis la
barque sacrée, celle-là même qui emmenait Isis vers
son époux. Tout est calme et douceur. Nous referons la même
balade le soir, au clair d’une lune blanche et ronde, à l'occasion
du spectacle son & lumière. Croyez-moi si vous voulez, mais
nous avons eu du mal à repartir, à redescendre sur terre.
Et dans la barque du retour, une fois quittée l’île,
personne ne parlait. Je n’ai même pas pris de photos, c’est
vous dire…
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