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J’ai
toujours pensé que le café noir, lorsqu’il fait encore
nuit et que les premières lueurs de l’aube pointent à
peine, avait un autre goût. Un goût d’aventure, d’exceptionnel…
C’est le cas ce matin. Nous sommes harnachés de pied en cap
– le thermomètre n’est pas d’un optimisme débordant
– et nous ne sommes pas les seuls. Un coup d’œil derrière
nous suffit à faire ressortir le rouge flamboyant d’un anorak
autrichien. Pour l’instant, pas de vent. Enfin, pas trop…
Je me sens dans la peau d’un pêcheur de l’île
de Sein… Comme quoi, une bonne imagination, ça aide.
Tous feux allumés, nous quittons ce quai amical, aussitôt
suivi par Ayrolle, et, va petit mousse, nous visons ce que nous devinons
être la Tourelle Roquerols, qui scintille tout là-bas, en
direction de Bouzigues. Au bout d’une vingtaine de minutes, plusieurs
constatations s’imposent : nous sommes de fameux navigateurs, et
nous visons juste. Nous sommes en plein milieu de l’étang,
et pour le moment, l’eau est relativement calme. Nous traçons
notre sillon entre gris bleu foncé et gris bleu clair, le long
des parcs à huîtres, accompagné d’Ayrolle, dont
l’équipage s’est replié à l’intérieur.
Il y fait certes meilleur, mais je trouve qu’on voit mieux d’en
haut. Tant qu'à faire, autant profiter des grands espaces !
Le
ciel rosit, et nous distinguons mieux les agencements des parcs que nous
longeons à bonne distance. Une heure et quart plus tard, devant
Marseillan, Ayrolle nous salue par quelques coups de klaxon et toute la
famille agite les bras. Ils vont visiter la ville de Maître Pierre,
le meunier-arlequin du XVIIème siècle, la cité du
Noilly-Prat.
Pour nous, la croisière continue. Le phare des Onglous, blanc et
rouge, entrée du Canal du Midi, est en vue. C’est un endroit
où la prudence est de mise. Il faut viser la droite du phare, même
si l’on ne distingue rien à première vue. Ce n’est
que dans les derniers mètres que l’on voit la jetée,
au ras de l’eau.
 Campignol
pénètre à vitesse réduite dans le Canal,
par le petit port, derrière un house boat qui nous a coiffé
à l’arrivée, et s’est engagé devant
nous, gaz à fond. Quelqu’un sort de la maison du port et
nous invective. Du pont, je lui explique que nous sommes au plus lent,
et que c’est
l’autre qui est responsable des vagues qui agitent les voiliers.
Il s’excuse, mais le mal est fait. Une langue trop rapide n’est
pas signe de sagesse. Pourtant dans un lieu comme ici, la sérénité
devrait être de mise.
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